Jardin en partance
“Le monde est une illusion, l’art est de présenter l’illusion du monde.”
 
P.Virilio, Esthétique de la disparition, 1979.edt.Galilé. 
 
     Le jardin privatif est certainement considéré par ses amateurs comme le lieu d’une expression, véhiculée et véhiculant  la  pulsion créatrice individuelle, la plus répandue. Elle se  rapproche très certainement  ainsi, dans sa pratique plastique de celle de l’artiste dans la phase d’introspection d’un  travail en atelier .Il y aurait alors corrélation entre les œuvres de celui-ci et dans celles de nos modestes jardiniers...
 
     Le propos de "jardin en partance", est né d’un regard, porté sur d’ anciennes gravures, gouaches et peintures mêlant rêveries  nostalgiques  et histoires portuaires, exhalant de ce parfum d’expéditions lointaines, de l’exotisme plein les cales   .Evoquant l’idée de  départ ,  l’artiste cherche à y associer des velléités de vol, d’envol. 
 
     Les rêves de vol, évoque Bachelard dans son ouvrage "l’eau et les rêves", comme ceux de chutes, sont certainement les prémices d’un champ de guérison, l’accession à un destin ascensionnel, que tente de favoriser une heureuse respiration. Elle serait le signe encourageant  d’une santé renaissante. 
      L’intime et la catastrophe naturelle sont un des thèmes  de réflexion mené par Xavier Thomen depuis les grandes inondations de 93, qu’ils ont  subi en famille .La proposition “ jardin en partance “se présente comme une lecture complémentaire, de son travail, s’inscrivant dans le champ de la pathologie, engendré par une situation, un état de choc consécutif  à un traumatisme, avec ses thérapies. 
 
  “Une œuvre d’art ayant pour  médium  végétal, toutes les composantes d’un jardin et le jeu qu’instaure la mise en “partance” de celui- ci, crée l’ illusion de mouvement, une scénographie de l’ensemble et la  présence d’objets / conteneurs ,définissent avec pragmatisme alors le passage d’une œuvre végétale à l ’œuvre muséale conditionnée pour  sa mobilité.
 
      Au même titre et parallèlement l’œuvre de l’artiste s’apprête toujours à quitter l’atelier...
    Mais dans le cas d’un jardin épris de voyage, l’œuvre  n’est pas  sans rappeler ses origines lointaines que l’on évoquait plus haut par iconographie interposée. Nos plantes, nos arbres transportent  aujourd’hui et transporteront toujours dans leurs fibres, un rien de leurs premiers déménagements  ou transplantations, fruit de  cette volonté humaine qui ne peut empêcher  de modifier, exporter ou importer afin d’enrichir sa culture, inventant du même coup, avant l’heure, les tous premiers O.G.M. (organisme géographiquement modifié), que le monde ait connu .A travers eux mais uniquement par fragments, un peu de l’autre monde nous est parvenu... 
 
      Ce monde dont l’éternité, rappelle René Char, ne dure que le temps d’une vie, ne serait-il  pas  qu’un voyage ? Quoi de mieux que cette incitation au transport pour transférer, tentatives ,maquettes ou projets cosmogoniques de proche voisinage que sont nos oasis créatifs  dans  le jardin vers  d’autres  jardins voyagés ,vers d’autres pays...Les rendant aux paysages  du monde, dont ils sont issus et dont ils sont une preuve de l’échec, cet échec ne serait-il pas le même dont parle Cézanne interrogeant la peinture?
 
  En conséquence ces oasis ne sont-ils pas seulement le moyen de tout requestionner à nouveau, sans manquer de tout révéler au passage. S’ils  révèlent  et qu’ils sont révélés c’est qu’ils sont regardés, alors les œuvres existent à ce moment  et quelque chose de nous et du monde à travers elles.   
  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
